Eric Jetner, acteur aux semelles de vent

0
1161

Par­lez-nous de votre parcours…

Je suis par­ti voilà sept ans sur un coup de tête, muni d’un visa d’artiste. Je tra­vail­lais régulière­ment en France, mais j’avais envie de voir autre chose. En fait, lors de la deux­ième sai­son de Mam­ma mia! à Mogador, j’avais com­mencé les démarch­es. Stage Enter­tain­ment (le pro­duc­teur, N.D.L.R.) pro­po­sait une tournée quand j’ai reçu l’appel de mon avo­cate : que faire ? Soit choisir une sorte de sécu­rité en restant en France, soit par­tir pour les États-Unis ; j’ai pris le risque. Je suis donc par­ti en 2012 à New York, j’ai obtenu ma carte verte, par­ticipé au spec­ta­cle Naked Boys Singing, puis tourné avec mon show, Love ver­sus amour, un cabaret autour de chan­sons d’amour remis­es au goût du jour. J’ai égale­ment tra­vail­lé au Star­dust Din­er en tant que serveur chanteur. En l’occurrence, il faut assur­er une ani­ma­tion en plus du ser­vice. La vie a fait que je suis ren­tré en France en 2017. The Voice France m’a appelé ; j’y ai par­ticipé cette année-là, ce qui a réac­tivé les choses. Je me suis ren­du compte que cette émis­sion néces­site, pour bien la vivre, une bonne expéri­ence de la scène et du spec­ta­cle. J’ai égale­ment tra­vail­lé sur dif­férentes pro­duc­tions de Dis­ney, et voilà Rim­baud qui s’est pro­filé… J’ai trou­vé l’annonce du cast­ing sur votre site, le rôle m’intéressait et je con­nais­sais bien le film qui relate la pas­sion entre ce poète et Ver­laine [Total Eclipse (Rim­baud Ver­laine, en VF), réal­isé en 1995 par Agniesz­ka Hol­land, N.D.L.R.]. Après plusieurs tours d’audition avec mono­logues et chan­sons, fin juin j’ai su que j’étais engagé.

Com­ment s’est déroulée la pré­pa­ra­tion du spectacle ?

Nous avons eu deux mois de répéti­tions très intens­es — 8 heures par jour —, notam­ment en août pour la choré­gra­phie, très exigeante. Nous ne sommes que six sur scène ; par con­séquent il est impos­si­ble de se cacher der­rière un ensem­ble : nous avons cha­cun une par­ti­tion à jouer. Fin août, je me suis véri­ta­ble­ment attaqué au per­son­nage grâce à la direc­tion d’acteur de Stéphan (Roche, N.D.L.R.), qui est à la fois mon parte­naire, le met­teur en scène et l’au­teur… Cela peut faire peur, mais il arrive à tenir les trois aspects sans prob­lème. Il s’est dévoué à nous avant lui-même, et je recon­nais en lui un excel­lent directeur d’acteurs. J’ai l’habitude de la méth­ode anglo-sax­onne, je la retrou­ve ici dans son exi­gence. Il fal­lait en out­re inté­gr­er des don­nées d’ordre tech­nique puisque nous évolu­ons dans un décor fait de pro­jec­tions et de map­ing vidéo.

Quel est votre regard sur votre personnage ?

Rim­baud est un per­son­nage très com­plexe. Au moment des audi­tions, j’avais ce film, Total Eclipse, dans la tête. Il m’avait beau­coup per­tur­bé, enfant, car il par­lait de explo­ration de l’identité sex­uelle en met­tant en avant deux génies du pat­ri­moine français. Je l’ai revu pour me rep­longer dans l’univers. Avec le recul, je me suis ren­du compte que ce film est remar­quable, mais n’of­fre qu’une ver­sion très édul­corée, dou­blée d’une vision très améri­caine de cette his­toire, de manière à la ren­dre très grand pub­lic. Christo­pher Hamp­ton en a écrit le scé­nario ; cer­taines choses sem­blent lui avoir échap­pé car elles sont très ancrées dans la cul­ture française et donc peu explic­a­bles. En tant qu’anglo-saxon, il n’a pas le même ressen­ti qu’un Français. Par la suite, j’ai accom­pli un gros tra­vail en lisant toutes les biogra­phies, je me suis beau­coup doc­u­men­té. Je n’ai pas encore eu l’occasion d’aller à Charleville, d’où il est orig­i­naire, mais l’assistante de Stéphan y est allée et en a rap­porté des livres et des pho­tos. J’ai fait l’ex­péri­ence de l’absinthe dans l’un des plus vieux restau­rants de Paris, Le Bon Bock, là où on ser­vait à l’époque, à toute l’intelligentsia, ce breuvage disponible aujourd’hui unique­ment en ver­sion édul­corée. Mais je voulais en con­naître le goût. J’ai égale­ment inter­rogé autour de moi à pro­pos de la rela­tion entre Ver­laine et Rim­baud, et je me suis aperçu que les répons­es sont assez floues. Peu de gens savent ce qui s’est réelle­ment passé. Ils con­fèrent à cette his­toire une notion roman­tique, adjec­tif sou­vent accolé à Rim­baud et qui me sem­ble faux. C’est un génie tor­turé, bien en avance sur son temps. Dans Le Bateau ivre, envoyé à Ver­laine et aux par­nassiens, il a déjà écrit sa vie.

Quel poème de Rim­baud préférez-vous ? Même ques­tion pour Verlaine.

Il m’est très com­pliqué de choisir. J’ai lu Les Illu­mi­na­tions, Une sai­son en enfer et d’autres recueils, notam­ment zutistes, qui sont de la provo­ca­tion pure et dure. Par­fois, il est dif­fi­cile de com­pren­dre ce qu’il a voulu dire car c’est très étrange, étant don­né que ce fut écrit dans un état mod­i­fié de con­science. En poésie, je suis plus attiré par le « réal­isme ». Le Bateau ivre reste un chef‑d’œuvre ; je l’ai relu énor­mé­ment pour nour­rir mon personnage.

Pour l’heure, vous êtes au théâtre pour les représen­ta­tions, et après ?

Mon statut actuel fait que je peux retourn­er aux États-Unis quand je veux : je suis comme Rim­baud, pas fixe, j’ai mes pro­pres « semelles de vent ».

- Publicité -