La Traviata (Critique)

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24 févri­er 2017 — Grande Scène / Le Chesnay
4 mars 2017 — Cen­tre des Arts Pluriels / Ettelbruck
18 et 19 mars 2017 — Théâtre du Val d’Yerres / Yer­res, Théâtre La Colonne / Miramas
26 avril 2017 — Scène Nationale, Grand Narbonne

de Giuseppe Verdi

Direc­tion musi­cale : Gas­pard Brecourt
Met­teur en scène : Olivi­er Desbordes
Col­lab­o­ra­teur à la mise en scène : Ben­jamin Moreau

Vio­let­ta : Ser­e­nad B.Uyar
Alfre­do : Rinò Matafù
Ger­mont : Christophe Lacassagne
Travi­a­ta muette : Fan­ny Aguado
Flo­ra : Sarah Lazerges
Gas­ton : Eric Vignau
Le Doc­teur Grenvil : Matthieu Toulouse
Baron Douphol : Lau­rent Arcaro
Le Mar­quis D’O­bigny : Yas­sine Benameur
Anni­na : Nathalie Schaaff

Décor et cos­tumes : Patrice Gouron
Lumières : Joël Fabing
Chef de chant : Elis­a­beth Bruselle
Vidéaste : Clé­ment Chébli
Maquil­lage : Pas­cale Fau
Choeur et orchestre Opera Eclate
Pro­duc­tion : Fes­ti­val de Saint-Céré – Opéra Éclaté.

Résumé : Dès les pre­mières notes de l’ouverture de La Travi­a­ta, Ver­di annonce la fin, ou bien ne se place-t-il pas déjà à la fin, pour remon­ter ensuite le passé avec le regard par­ti­c­uli­er qui car­ac­térise la tragédie ?
C’est ce dou­ble point de vue qui guide ce pro­jet. D’une part, une Vio­let­ta mourante qui se remé­more le passé et d’autre part, une Vio­let­ta qui s’étourdit dans les apparences et le mirage social. D’une part, une Vio­let­ta lucide témoin de ses vains espoirs et d’autre part, une Vio­let­ta jeune et ambitieuse qui tente de sor­tir du déter­min­isme social par son unique sensualité.
D’une part, une Vio­let­ta qui a mis son masque social et d’autre part, à la fin de son his­toire, une Vio­let­ta sans masque qui, rongée par la mal­adie « sym­bol­ique », observe avec lucid­ité la tra­ver­sée des apparences et le miroir de l’univers des hommes.
Pour se faire, la Vio­let­ta dénudée des apparences, chantera et regardera une autre Vio­let­ta qui cor­re­spond au mod­èle social imposé par les con­ven­tions. La Vio­let­ta lucide sera filmée en direct et pro­jetée sur le fond du décor tan­dis que sur scène un monde de fan­tômes nor­mal­isés s’ébattra dans un jeu social con­venu et réglé.
La vision con­comi­tante des deux phas­es de la per­son­ne (une sur scène, une sur l’écran) doit amen­er le spec­ta­teur à percevoir l’impasse où se trou­ve Vio­let­ta, les con­tra­dic­tions, la néces­sité de la fin pour régler la question.
L’orchestre sera inté­gré dans l’espace scénique car la musique et ses exé­cu­tants font par­tie de « la règle du jeu », la salle de bal, son orchestre et ses danseurs par­ticipent à cette règle. C’est une société qui con­tin­ue de « gig­ot­er » alors qu’elle est au bord de la fin d’un siè­cle et d’un monde. Vio­let­ta, la cour­tisane ambitieuse sor­tie du roman de Zola, sorte de « nana » qui prof­ite des feux de sa beauté pour échap­per à la mis­ère et s’étourdit dans l’amour arti­fi­ciel et les compromis.
Cos­tumes fin de siè­cle, estam­pes figées… espace vide peu­plé de fan­tômes… c’est ain­si que la Vio­let­ta encore vivante se sépar­era de la Vio­let­ta à l’amour virtuel.
J’ai demandé au chef d’orchestre et à l’orchestrateur de tra­vailler l’orchestre de cham­bre pour que celui-ci puisse dif­férenci­er les atmo­sphères : d’un côté, l’écoute de la Vio­let­ta mourante et se remé­morant son passé et de l’autre l’étourdissement de la fête. D’un côté la mélan­col­ie d’un temps retrou­vé opposé à une présence forte de l’autre.
On ver­ra se con­fron­ter au cours de l’Œuvre l’apparence et la vérité, le sub­lim­i­nal et le con­cret… c’est le sujet de cet opéra, c’est le sujet volon­taire­ment choisit par Ver­di, ce qui explique les prob­lèmes qu’il a eus avec le pub­lic et la cen­sure aux pre­mières représentations.

Notre avis (Cri­tique pub­liée lors des représen­ta­tions d’août 2016) : Adap­té de La Dame aux Camélias, La Travi­a­ta de Ver­di est un des opéras par­mi les plus célèbres et les plus joués, avec sa par­ti­tion mag­nifique dont tout le monde con­naît au moins un ou deux airs ancrés dans la cul­ture populaire.
Pour sa cinquième mise en scène de cette œuvre, Olivi­er Des­bor­des opte pour un par­ti pris fort et auda­cieux en con­stru­isant le spec­ta­cle comme un flash­back, avec une Vio­let­ta ago­nisante qui se sou­vient de son his­toire à tra­vers un dou­ble (jeune et muet) qui l’in­car­ne dans les scènes du passé. D’emblée, l’is­sue trag­ique de l’his­toire est posée et jette un éclairage som­bre sur toute l’œuvre y com­pris sur les scènes mondaines. A cette nar­ra­tion en flash­back s’a­joute une pro­jec­tion simul­tanée sur grand écran, focal­isée sur Vio­let­ta et ren­dant compte dans le moin­dre détail de ses expres­sions. Ici, on sem­ble s’éloign­er de la tra­di­tion­nelle tuber­cu­lose dont l’héroïne souf­fre habituelle­ment pour s’ap­procher d’un trou­ble psy­chologique qui sem­blerait tout à fait cohérent au regard des humil­i­a­tions dont elle fait l’objet.

Une fois ce mécan­isme accep­té, on plonge lit­térale­ment dans la tête de cette femme, témoins impudiques de sa souf­france. Bur­cu Uyar, déjà remar­quée au Fes­ti­val de Saint-Céré dans le rôle-titre de Lucia di Lamer­moor il y a deux ans, émeut avec son inter­pré­ta­tion physique et vocale d’une Vio­let­ta meur­trie et per­due. Son dou­ble muet, Fan­ny Agua­do, incar­ne sa facette (ou sa façade) mondaine et fausse­ment légère. Ce por­trait féminin est réus­si même si le procédé vidéo tend par­fois à figer l’ac­tion, mais génère de belles compositions.
Quant à la par­ti­tion de Ver­di, elle est dirigée avec finesse et élé­gance par Gas­pard Bré­court. La for­ma­tion de seule­ment 17 musi­ciens sonne par­ti­c­ulière­ment bien dans l’e­space ouvert du château sans nég­liger pour autant les nuances déli­cates de l’œuvre.

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