Mirabelle Ordinaire explore la face cachée de Sondheim

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Mirabelle Ordi­naire, pou­vez-vous nous présen­ter votre parcours ?
J’ai com­mencé par un cur­sus uni­ver­si­taire, je suis ensuite par­tie aux Etats-Unis à Colum­bia Uni­ver­si­ty pour faire un PhD en théâtre, dans un départe­ment dont l’en­seigne­ment était moitié pra­tique, moitié théorique. J’y ai passé sept ans, j’ai écrit une thèse, j’ai enseigné et j’ai com­mencé à mon­ter des pro­jets là bas. J’ai aus­si beau­coup dan­sé car j’ai une for­ma­tion de danseuse. Quand je suis ren­trée à Paris, je suis dev­enue assis­tante de Christophe Per­ton. J’ai tou­jours baigné dans la musique mais tra­vailler sur son Don Gio­van­ni, avec l’Atelier Lyrique de l’Opéra de Paris, a été une révéla­tion pour moi. Depuis, j’ai beau­coup tra­vail­lé avec l’Opéra de Paris avec ce qui est devenu main­tenant l’A­cadémie je suis dev­enue la pre­mière met­teure en scène en rési­dence en 2015. Suite à l’A­cadémie, j’ai mon­té Bastien et Basti­enne puis Kurt Weill Sto­ry l’an dernier. J’ai moi même assem­blé, choisi les airs, écrit les dia­logues du Kurt Weill : c’é­tait vrai­ment mon bébé ! Kurt Weill est entre le monde de l’opéra et celui de la comédie musi­cale. J’aime tra­vailler sur de l’opéra mais aus­si sur de la comédie musi­cale car le côté théâ­tral est très fort ain­si que le côté danse, deux choses qui m’ap­por­tent beau­coup. Mar­ry Me A Lit­tle est ma pre­mière comédie musi­cale « officielle ».

Com­ment êtes-vous arrivée sur ce projet ?
Jean Luc Choplin [ancien directeur du Châtelet, aujour­d’hui directeur du Marigny] est venu voir Kurt Weill Sto­ry. A l’is­sue de la représen­ta­tion, il m’a demandé si je voulais met­tre en scène Mar­ry Me A Lit­tle, j’ai dit oui ! Il con­naît très bien ma sœur Philip­pine, qui est scéno­graphe et avec qui je tra­vaille depuis plusieurs années.

Con­naissiez-vous l’u­nivers de Sond­heim avant cette proposition ?
Je con­nais­sais un petit peu mais je n’étais pas spé­cial­iste donc j’ai vrai­ment décou­vert à l’oc­ca­sion de cette mise en scène. J’ai énor­mé­ment vu de comédies musi­cales hol­ly­woo­d­i­ennes des années 50/60. Fred Astaire et Gene Kel­ly étaient plus mon idée de la comédie musi­cale. Là, je me suis plongée dans l’œuvre de Sond­heim et ça été génial. Ça s’ap­prochait par­fois de Kurt Weill avec ce côté noir et grinçant qui me plai­sait bien. Et puis ses paroles sont extra­or­di­naires, c’est une mine d’or pour un met­teur en scène.
Pour Mar­ry Me A Lit­tle, j’ai décou­vert l’or­dre offi­ciel en rece­vant les par­ti­tions et j’ai demandé si on pou­vait chang­er l’or­dre des chan­sons, en ajouter, en enlever. La réponse a été : non. C’é­tait très clair !

Com­ment avez-vous tra­vail­lé avec vos comé­di­ens, notam­ment à par­tir d’un livret assez ténu ?
J’avais, en amont, imag­iné un déroulé dra­maturgique qui s’ap­puyait en par­tie sur cer­taines didas­calies con­tenues dans la par­ti­tion, et en par­tie sur ce que les chan­sons m’évo­quaient directe­ment (et qui n’al­lait pas tou­jours dans la direc­tion de cer­taines autres didas­calies). Au cours de notre pre­mière séance de tra­vail avec Kimy [McLaren], Dami­an [Thantrey] et Char­lotte [Gau­thi­er, pianiste], aucune note de musique n’a été jouée ou chan­tée — je leur ai exposé le déroulé que j’avais imag­iné, et nous avons lu les textes, un par un, phrase par phrase, pour en percer le sens, voir com­ment ils pou­vaient s’en­chaîn­er et se répon­dre, et com­mencer à con­stru­ire la sit­u­a­tion et les per­son­nal­ités des deux pro­tag­o­nistes (et de la pianiste en réso­nance avec celle des deux autres). Sans dia­logue à notre dis­po­si­tion il était fon­da­men­tal que l’his­toire de cha­cun des per­son­nages soit claire et pré­cise ! Puis, nous nous sommes lancés dans la musique, et dans le tra­vail choré­graphique aus­si — nous avons insti­tué des séances de choré­gra­phie quo­ti­di­ennes pour que les séquences dan­sées don­nent l’im­pres­sion d’être un pro­longe­ment naturel des rêves et fan­tasmes des per­son­nages. Nous avons beau­coup répété les airs (même les duos) avec un seul chanteur à la fois, pour que Kimy et Dami­an pren­nent pos­ses­sion de leur espace, se sen­tent « chez eux » dans ce décor qu’ils parta­gent sur la scène, mais pas dans la fic­tion, pren­nent leurs habi­tudes, et dévelop­pent ce sen­ti­ment de soli­tude sur lequel tout repose. Puis, nous repre­nions la même scène avec les deux chanteurs pour inté­gr­er le par­cours de cha­cun dans celui de l’autre, et con­stru­ire des échos entre les per­son­nages (notam­ment dans l’u­til­i­sa­tion des acces­soires, ou des posi­tions physiques) — et des diver­gences aus­si. Cela a été une véri­ta­ble col­lab­o­ra­tion, les chanteurs et Char­lotte pro­posant et trou­vant de plus en plus de choses à mesure qu’ils con­stru­i­saient et incar­naient leur per­son­nage. Nous en sommes venus, en tra­vail­lant les derniers airs avec Dami­an, à mod­i­fi­er la fin du déroulé que j’avais imag­iné — l’is­sue plus som­bre du spec­ta­cle nous est apparue comme inévitable au cours de la répéti­tion. Kimy a été bien sur­prise le lende­main ! Mais une fois le des­tin des deux per­son­nages établi nous avons pu revenir en arrière et le pré­par­er par petites touch­es tout au fil du spec­ta­cle, dans chaque air et dans les tran­si­tions, pour ren­dre le tout encore plus cohérent.

Aimeriez-vous met­tre en scène un autre Sond­heim, si oui lequel et pourquoi ?
Oui oui oui! Sond­heim a de quoi inspir­er — des paroles extra­or­di­naires, de la mag­nifique musique, une var­iété d’é­mo­tions, de couleurs, de styles, un mélange d’hu­mour, de nos­tal­gie, de noirceur… J’aime par­ti­c­ulière­ment A Lit­tle Night Music, pour tout ça, et pour la mul­ti­plic­ité de ses inspi­ra­tions lit­téraires, théâ­trales et ciné­matographiques, et son puz­zle de des­tins croisés et de rêves doux-amers.

Mar­ry Me A Lit­tle, jusqu’au 24 févri­er 2019 au Stu­dio Marigny.
Lire notre cri­tique.

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