Samuel Sené, metteur en scène de Comédiens !

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Samuel Sené, vous met­tez en scène Comé­di­ens ! mais vous êtes égale­ment l’au­teur du con­cept. Com­ment vous en est venue l’idée ?
En 2005, j’ai mis en scène l’opéra Pail­lasse de Leon­cav­al­lo qui est adap­té d’une his­toire vraie qui s’est passée en Ital­ie au XVIIe siè­cle. Cette his­toire m’a tou­jours fasciné car elle par­le de l’essence même de notre méti­er : la dis­so­ci­a­tion. Com­ment faire pour jouer sur scène et faire rire quand votre vie privée ne va pas bien ? Quand je l’avais mis en scène, il y avait eu aus­si dans la vraie vie un inci­dent qui a fait qu’une des comé­di­ennes n’est pas venue saluer. Le pub­lic a applau­di à tout rompre, pen­sant que ma mise en scène con­tin­u­ait. Je me suis dit qu’il y avait une mise en abyme à faire avec ça. Depuis tou­jours, j’aime le théâtre dans le théâtre. Quand Franck Desmedt, du Théâtre de la Huchette, a voulu me con­fi­er une créa­tion, on a cher­ché plein d’idées et je reve­nais tou­jours à la charge avec cette idée. Il a fal­lu le con­va­in­cre, et pour ça, j’ai demandé à Eric Chante­lauze et Raphaël Ban­cou de m’ac­com­pa­g­n­er. On a con­va­in­cu Franck qu’il fal­lait mon­ter ça et il nous a dit : « Ban­co, allez‑y ! ». Ensuite, en adap­tant libre­ment l’opéra, il a fal­lu se pos­er les bonnes ques­tions. Quel est l’équiv­a­lent de la com­me­dia del­l’arte (présente dans l’opéra orig­i­nal) dans la cul­ture française ? Le vaude­ville. Quelle est la musique dans laque­lle un vaude­ville pour­rait s’é­clater ? Le jazz. La Huchette a été créé en 48 ? C’est par­fait. Ensuite, il a fal­lu trou­ver les comé­di­ens. On savait qu’ils allaient s’ac­com­pa­g­n­er eux-mêmes mais on ne savait pas for­cé­ment avec quel instru­ment. Une fois trou­vés, on a com­mencé à tout construire.

Pour ce pro­jet, vous avez donc tra­vail­lé avec Eric Chante­lauze et Raphaël Bancou.
J’avais déjà tra­vail­lé avec Eric. Je l’avais dirigé dans des scènes de théâtre et musi­cale­ment dans Fame. J’avais égale­ment suivi de près la pro­duc­tion de La Poupée sanglante. Quant à Raphaël, je le con­nais depuis dix ans et on a dû faire au moins six comédies musi­cales ensem­ble. Je leur ai com­mandé à tous les deux l’écri­t­ure du spec­ta­cle de Musidra­ma pour juin prochain et j’ai vu que leur duo mar­chait super bien. On s’est dit que c’é­tait le moment de réu­nir le trio et on savait qu’on allait tra­vailler vite. En esprit dra­maturgique, mon esprit math­é­mati­cien va très vite. Eric, en dia­logues, est une tuerie. Avec Raphaël, comme je suis aus­si musi­cien, on se com­prend. On se respecte tous les trois, et même quand on s’engueule, c’est avec beau­coup d’amour !

Avez-vous eu des références ou influ­ences spé­ci­fiques pour ce spectacle ?
Il y a des références directes à l’opéra Pail­lasse, comme le solo de Fabi­an Richard (Pierre) dans sa loge : c’est une scène de l’opéra. L’ac­com­pa­g­ne­ment musi­cal de sa chan­son est un sam­ple de l’opéra. Et la dernière phrase du spec­ta­cle est une tra­duc­tion française de la dernière phrase de l’opéra. Ensuite, il y a des influ­ences per­son­nelles. Il y a beau­coup de ma vie, la manière dont Pierre gère sa jalousie me fait penser à moi, plus jeune. J’ai beau­coup tra­vail­lé dessus et j’ai imag­iné ce qu’au­rait pu devenir un homme qui n’au­rait pas eu les années de psy que j’ai faites (rires) ! Enfin, les dis­cus­sions de Pierre et Guy (joué par Cyril Romoli) par rap­port à la musique et à la bande son sont qua­si­ment mot à mot les engueu­lades qu’on a eues avec Raphaël à ce sujet ! Il y a énor­mé­ment de vraie vie là dedans, y com­pris dans l’aspect styl­is­tique de la pièce. On a fait les décors comme on les aurait faits à l’époque.

Com­ment s’in­scrit ce spec­ta­cle dans le paysage du théâtre musi­cal français ? C’est un peu un OVNI ?
Je suis la per­son­ne qui a le moins de recul pour en par­ler mais je ne cherche pas à faire à quelque chose dans le paysage, je cherche à faire un spec­ta­cle au moment où je le fais. Ça fait des années qu’on a ces dis­cus­sions sur : c’est quoi le théâtre musi­cal français ? Com­ment se démar­quer du théâtre musi­cal anglo-sax­on qui ne trou­ve ses mar­ques en France qu’à moitié ? Peut-être avec ce spec­ta­cle qui s’im­plante dans la cul­ture française et qui joue avec les con­ven­tions sans pren­dre les spec­ta­teurs pour des cons (« OK, les per­son­nages chantent mais on vous dit pourquoi ils chantent. »). J’e­spère que cet ouvrage fera venir les gens de théâtre pour prou­ver une bonne fois pour toutes que ce n’est pas parce qu’on chante qu’on n’est pas des comé­di­ens. Ce dis­cours peut paraître triv­ial car nous tous dans le milieu, ain­si que vos lecteurs, le savons. Mais j’ai envie qu’à une plus grande échelle, on dise : le théâtre musi­cal, c’est du théâtre.

Comé­di­ens ! au Théâtre de la Huchette jusqu’au 23 juin 2018.

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